Sheila Block: l'austerité augmentera l'inégalité du marché du travail

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Ce texte est la troisième et dernière partie de la réponse de Sheila Block à notre rapport sur l'inégalité. Lisez la première partie et la deuxième.

Tous les paliers de gouvernement au Canada ont entrepris des programmes d’austérité qui comprennent des réductions d’effectifs au sein de la fonction publique et des efforts pour privatiser des services publics. Ces politiques vont ralentir la croissance économique et réduire la qualité des services publics. Et la réduction des services publics aura un impact plus important chez les Canadiens à faibles revenus que chez ceux à revenus élevés. Au-delà de ces conséquences, ces programmes d’austérité augmenteront l’inégalité des revenus. 

Les travailleurs occupant des emplois peu rémunérés, comme l’entretien ménager, la préparation alimentaire et les commis, ont généralement des salaires plus élevés au sein de la fonction publique qu’au sein du secteur privé. Un cuisinier travaillant dans le secteur public recevait en moyenne 26 216 $ par année en 2006, ce qui est 24 % plus élevé que la moyenne de 21 089 $ par année que gagnaient les cuisiniers dans le secteur privé. En revanche, les professions mieux payées, comme les gestionnaires, les avocats et les comptables, ont tendance à être moins bien payées dans le secteur public que dans le secteur privé. Par exemple, les gestionnaires d’ingénieurs recevaient en moyenne 93 514 $ par année en 2006, ce qui est 27 % de moins que la moyenne de 128 886 $ reçu dans le secteur privé.  Résultat : les personnes à revenus élevés qui perdent leur emploi dans le secteur public ont de meilleures perspectives d’emplois dans le secteur privé que les travailleurs à plus faibles revenus qui perdent le leur.

Ces politiques ont également un impact différent selon les sexes. Les femmes représentent 62 % des employés de la fonction publique canadienne, et à peu près 46 % des employés du secteur privé.  À l’impact de ces mises à pied s’ajoute la différence des salaires que reçoivent les femmes entre le secteur public et le secteur privé. En moyenne, les femmes occupant des emplois dans le secteur public reçoivent des salaires 4,5 % plus élevés que les femmes dans des professions comparables dans le secteur privé (45 821 $ comparativement à 43 841 $). Les femmes qui perdent leur emploi dans le secteur public auront de la difficulté à trouver un emploi aussi bien rémunéré. Les hommes dans le secteur public gagnent en moyenne 5,3 % moins d’argent que les hommes travaillant dans le secteur privé (57 318 $, comparativement à 60 531 $).  Ainsi, une réduction des emplois dans le secteur public aura tendance à faire augmenter l’écart entre les sa-laires des hommes et ceux des femmes.  

L’impact sur le salaire des femmes ne se limite pas à la perte directe d’emplois. Les modifications aux méthodes de dispense des services publics auront également un impact disproportionné. La dispense de services par le privé placera les femmes dans des situations plus précaires d’emploi où elles auront moins l’occasion d’être syndiquées et auront de plus faibles compensations. 

La prestation de soins représente une portion substantielle des services publics. Lorsque ces services sont réduits, la responsabilité retombe disproportionnellement sur les épaules des femmes. En 2005, les femmes travaillaient sans salaire deux heures par jour de plus que les hommes.  La perte de services publics augmentera la quantité de travail non rémunéré pour les femmes en plus de réduire leur salaire et les occasions de travailler à salaire.

Le fardeau de la réduction des services publics, la réduction des emplois dans le secteur public et la privatisation des services publics ont un impact plus grand sur les femmes. La réduction du nombre d’emplois dans le secteur public et la privatisation, qui transfère des emplois mieux payés, syndiqués, avec une pension et des bénéfices vers des emplois plus précaires, augmenteront l’inégalité au Canada.

Conclusion

Les gouvernements ont un large éventail de politiques qu’ils peuvent utiliser pour réduire l’inégalité au Canada. Parmi celles-ci, on retrouve les politiques relatives au marché du travail. Augmenter la capacité de négocier des travailleurs au bas de l’échelle des revenus réduit l’inégalité du revenu de plusieurs façons. Elle réduit l’inégalité entre les sexes et les communautés culturelles. Elle augmentera les salaires les plus faibles sur le marché du travail et réduira la pauvreté. Finalement, en redistribuant le revenu national pour privilégier les salaires aux profits, nous réduirons les revenus les plus élevés, ce qui contribuera à réduire l’inégalité. Les trois moyens à la disposition des gouvernements sont : moderniser les normes du travail pour améliorer l’égalité et protéger les travailleurs, réduire l’accès à la main-d’œuvre immigrante exploitable et maintenir la qualité des emplois dans le secteur public.

Sheila Block est directrice de l’analyse économique à l'Institut Wellesley à Toronto.