Leah Levac: Participation équitable à l’élaboration des politiques

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Les inégalités sociales et économiques, toujours plus nombreuses, que l’on constate maintenant au Canada sont le fruit de politiques publiques inéquitables qui ne tiennent pas compte adéquatement de leurs conséquences sur divers groupes de citoyens et qui entraînent souvent un accès inégal aux programmes et aux services. L’inégalité se traduit par un problème d’équité (injustice). Ainsi, dans ma ville, à Fredericton (N. B.), l’occupant d’un appartement n’a pas accès au recyclage des déchets domestiques, contrairement à l’occupant d’une maison, dont le bac de recyclage est vidé chaque semaine. L’expérience de ce service est donc différente pour les locataires et les propriétaires. Au Canada, les habitants des régions rurales situées près de grandes exploitations forestières n’ont pas toujours accès à de l’eau potable, mais presque tous les habitants des régions urbaines de notre pays y ont accès. L’expérience diffère donc selon la possibilité d’être desservi par un système efficace d’assainissement des eaux ou la proximité d’une entreprise de ressources. Dans ma ville, dans ma province et dans notre pays, il faut avoir 18 ans pour voter. L’accès à un élément clé de notre démocratie est donc une question d’âge.

Les sociétés qui mettent l’accent sur l’équité sont prêtes à accepter que les politiques puissent produire des résultats différents dans la mesure où les inégalités qui en découlent rendent la vie plus juste (plus équitable) pour tous. La progressivité de l’impôt en est un bon exemple. Les nantis versent une part plus élevée de leur revenu en impôts, mais cette inégalité fiscale entraîne un partage plus équitable des revenus et favorise l’établissement d’un filet social qui rend plus juste l’accès aux soins de santé, par exemple. Toutefois, ces exemples donnent des résultats qui sont à la fois inégaux et injustes (inéquitables), parce qu’ils alourdissent le fardeau de gens déjà défavorisés dans notre société, comme les locataires, qui sont habituellement moins riches que les propriétaires, ainsi que les gens qui habitent près d’industries qui exploitent des ressources naturelles, ou encore les jeunes gens.

Pour que nos politiques produisent des résultats plus équitables, il faut tenir compte de la diversité des voix pour les élaborer, et ce, à toutes les étapes. Le processus doit donc être plus équitable pour les divers groupes de participants. Les chercheurs et les intervenants du monde entier s’intéressent à la participation du public à toutes les étapes de l’élaboration des politiques. Qu’il s’agisse d’initiatives des gouvernements provinciaux ou de petites entreprises comme MassLBP qui essaient de redéfinir les méthodes de consultation du public, on accorde plus d’attention au rôle que les citoyens devraient jouer dans l’élaboration des politiques. Le changement consiste essentiellement à rendre plus équitables les diverses étapes de ce processus.

L’idée même de découper le processus d’élaboration des politiques en étapes distinctes peut certes paraître artificielle, mais elle nous aide néanmoins à réfléchir au problème qui consiste à établir comment un processus peut à la fois être inéquitable et créer de l’inégalité et des injustices. L’élaboration des politiques comprend habituellement les étapes suivantes : (1) définir le problème; (2) établir des priorités pour résoudre les problèmes; (3) définir des objectifs et des options en matière de politique; (4) choisir les instruments de politique, comme des lois, des règles et le financement nécessaire à la mise en œuvre des options en matière de politique; (5) mettre en œuvre la politique, c’est-à-dire exécuter un programme, fournir un service, etc.; et (6) évaluer l’efficacité de la politique (Phillips et Orsini, 2002).

Premièrement, divers groupes de citoyens doivent intervenir dans les décisions portant sur les questions à se poser à l’égard d’une politique. Par exemple, beaucoup d’organismes de femmes peuvent participer à la définition de questions de politique jugées importantes par divers groupes de femmes. L’élimination de nombreux programmes fédéraux qui visaient justement à lutter contre les inégalités fondées sur le sexe a fait en sorte que des questions relatives aux politiques importantes pour les femmes sont maintenant plus souvent passées sous silence. L’une des solutions à ce problème consiste à chercher des réponses auprès des chercheurs. En effet, la recherche vit un problème semblable, du fait que certaines communautés ne participent pas aux décisions touchant des recherches importantes pour elles. La communauté des chercheurs a réagi en élaborant des axes de recherche fondés sur la participation, afin de démocratiser davantage la recherche en tenant compte des expériences des gens (Reid et Frisby, 2008), et en intégrant diverses personnes à la formulation des questions de recherche (Israel, Eng, Schulz et Parker, 2005). La réaction dans le domaine de l’élaboration des politiques pourrait être semblable : un changement de culture au sein du gouvernement est essentiel pour que la participation des citoyens soit finalement reconnue à titre de partie intégrante des processus d’élaboration des politiques (Phillips et Orsini, 2002, p. iii). 

Deuxièmement, l’élaboration des politiques doit remettre en question les étiquettes sociales négatives qui contribuent à l’exclusion continue de certaines catégories de citoyens. Les fonctionnaires ont toujours eu un pouvoir considérable pour définir les groupes-cibles qu’ils veulent consulter (Phillips, 2006, p. 16), mais ils n’ont guère tenu compte du fait que des groupes différents peuvent jeter un éclairage différent, mais pertinent, sur des problèmes relatifs aux politiques. Par exemple, une de mes connaissances, Melanie, a des idées bien arrêtées sur les politiques relatives à la protection des enfants, mais on estime encore qu’elle fait partie du problème, au lieu de la solution, parce qu’elle appartient à la catégorie des « jeunes mères célibataires ». La politique publique oblige Melanie à laisser sa fillette de deux ans, Maya, aller chez son père, qui abuse d’elle. L’expérience de Melanie et ses idées sur la façon d’améliorer sa situation devraient enrichir les débats sur les politiques de protection des enfants. Or, sa crédibilité est entachée par une étiquette sociale négative qui entraîne le rejet de ses idées.

Troisièmement, on peut améliorer l’élaboration des politiques en misant sur des outils et des méthodes qui donnent aux gens des possibilités équitables de participation. Les rencontres publiques (la forme de « participation publique » la plus répandue à l’heure actuelle) sont un bon point de départ. Toutefois, comment peut-on prendre connaissance d’un avis de rencontre publique si l’on ne sait pas lire? Dans la même veine, même si elle sait lire, une mère monoparentale qui travaille au salaire minimum n’a pas les moyens de payer une gardienne d’enfants pour assister à une rencontre publique. Les technologies interactives permettent de diversifier les méthodes de participation du public (Harris, 2008; Gordon, 2008), mais la question de savoir si elles réduisent ou multiplient les possibilités de participation fait encore l’objet de grands débats. La solution doit donc comprendre un volet virtuel, qu’il faudra enrichir, et non simplement superposer à d’autres moyens.

Quatrièmement, pour que la participation du public soit fructueuse, celui-ci doit avoir accès à toute l’information pertinente. Les documents obscurcis par un jargon technique ou une information trop dense qui ne précise pas de contexte ou d’incidences utiles ou trop difficile à trouver sont deux exemples des nombreux obstacles à l’information qui empêchent divers groupes de personnes de participer à l’élaboration des politiques.

Cinquièmement, l’élaboration des politiques doit faire une priorité de la confiance et du respect réciproques, parce que ces attributs sont indispensables à une participation significative du grand public (Abelson et Gauvin, 2006). Une invitation lancée à divers groupes de citoyens à participer à l’élaboration des politiques s’accompagne d’un grand scepticisme (tout à fait justifié) à l’égard de la question de savoir si les décideurs prêtent vraiment une oreille attentive. L’une des raisons qui expliquent que ce phénomène constitue toujours un problème tient au fait que l’on demande souvent aux citoyens d’exprimer leurs vues sur une question de politique, mais on ne leur dit rien sur ce qu’il adviendra de leurs opinions et ils ne participent pas à la transformation des idées en politiques. Ce problème persiste également parce que l’on explique souvent le mode de participation aux citoyens (« Venez à cette réunion », « Posez ces questions ») au lieu de leur donner des réponses quand ils se donnent la peine de participer (par exemple, en invitant des opposants à débattre des questions de politique qui les préoccupent).

Établir un processus décisionnel plus équitable et plus invitant est un volet certes complexe, mais indispensable de la recherche de solutions aux problèmes d’inégalité et d’iniquité dans la société canadienne. Les initiatives de participation du public doivent tenir compte de la diversité et de l’inégalité des « publics cibles » dans les collectivités, les provinces et le pays tout entier. J’ai fait état de la « confiance et du respect réciproques » en dernier lieu, mais il s’agit peut-être du critère le plus difficile à respecter. Nos efforts collectifs vers un accès plus équitable et une meilleure participation à l’élaboration des politiques seront couronnés de succès ou voués à l’échec dans la mesure où nous pourrons établir des relations équitables entre divers groupes de gens dans le cadre de ce processus, qui devient ainsi un miroir et un moteur du changement social.

Leah Levac est une chercheure au niveau postdoctoral à l'Université du Manitoba.