Kate Parizeau: L’inégalité en milieu urbain au Canada

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Souvent assimilée à une différence de statut entre des gens ou des groupes, l’inégalité peut aussi s’appliquer à des endroits. Les villes canadiennes sont de plus en plus touchées par ce phénomène et des quartiers entiers vivent ces changements. Environ 80 % de la population canadienne vit en milieu urbain. Cette proportion augmente toujours. À quoi ressemble l’inégalité dans les milieux urbains et dans les rues des villes?

Les villes canadiennes sont de plus en plus polarisées et l’on constate une ségrégation géographique croissante entre les quartiers riches et les quartiers défavorisés. Des chercheurs ont constaté le déclin des quartiers de la classe moyenne dans les grandes villes canadiennes. Toutefois, la richesse et la pauvreté dans ces villes ne progressent pas au même rythme. Certaines banlieues deviennent de plus en plus cossues pendant le centre-ville stagne. Ailleurs, la revitalisation du centre-ville favorise l’enrichissement de la population des quartiers centraux, et la pauvreté se concentre dans les anciennes banlieues. Partout, on constate une disparité croissante des milieux de vie urbains.

La polarisation accrue des revenus dans les quartiers des villes canadiennes peut influer sur le tissu social et physique d’une ville. À mesure que les gens affluent dans une ville, le prix moyen du logement, déjà élevé les principales villes canadiennes, continue d’augmenter, et les citadins démunis doivent se contenter de logements de moindre qualité et se lancer dans de coûteuses réparations. À Winnipeg, par exemple, la revitalisation du cœur du centre-ville menace la sécurité du logement des citoyens à faible revenu, qui voient augmenter le risque d’être déplacés. Les personnes les plus vulnérables à l’insécurité du logement voient également leur sort se détériorer constamment. Ainsi, le nombre d’itinérants dans les rues de Vancouver a doublé en 2012. Le logement est un besoin essentiel, et les inégalités croissantes compromettent l’aptitude des citadins canadiens à combler adéquatement leurs besoins dans ce domaine.

L’infrastructure de transport dans des villes touchées par l’inégalité n’avantage pas toujours les principaux usagers du transport en commun. Les piétons des quartiers à faible revenu doivent utiliser une infrastructure routière désuète axée sur l’utilisation de la voiture personnelle et conçue pour une époque révolue. Les auteurs d’une étude faite à Ottawa ont constaté que les quartiers favorisés, au plan socio-économique, offrent une meilleure infrastructure de circulation piétonnière et que les accidents de la circulation avec des piétons sont plus fréquents dans un quartier du centre-ville moins favorisé . Offrir un accès plus équitable au transport urbain peut améliorer le mieux-être social et économique des citadins. Une étude faite auprès d’utilisateurs à faible revenu du transport en commun à Calgary a révélé que des laissez-passer subventionnés augmentent la qualité de vie de 97 % des usagers. Les répondants ont indiqué que les laissez-passer pour les utilisateurs à faible revenu permettent d’améliorer leur situation financière, leur mobilité et leurs perspectives sociales.

De même, les marchés d’alimentation ne sont pas répartis de façon égale dans nos villes. L’accès à une alimentation saine est parfois plus difficile pour les citoyens des quartiers défavorisés et les personnes à mobilité réduite. Une étude a notamment mis en évidence des problèmes d’accès aux marchés d’alimentation dans de nombreux quartiers à faible revenu de Toronto. Des études nous apprennent aussi que dans diverses villes canadiennes de taille moyenne, les populations vulnérables (personnes à faible revenu, aînés, familles monoparentales et étudiants) sont plus touchées par le fait de vivre en plein « désert urbain », du point de vue de l’alimentation.

L’accès aux ressources sociales est également mal réparti dans les milieux urbains. La Ville de Toronto a désigné des quartiers prioritaires où les services sociaux et l’infrastructure communautaire (bibliothèques, centres de loisirs communautaires, services d’aide à l’établissement des immigrants et banques alimentaires, par exemple) sont insuffisants. Dans ces zones mal desservies, on trouve des proportions supérieures à la moyenne de membres de minorités visibles, de familles monoparentales, d’immigrants récents et de citoyens touchés par des taux de chômage élevés, malgré une proportion élevé de diplômés étrangers. La combinaison de populations vulnérables et de ressources communautaires insuffisantes peut grandement compliquer la tâche des personnes et des communautés qui veulent mettre fin au cycle de la pauvreté.

Les nombreuses expériences d’inégalité des conditions de vie en milieu urbain semblent indiquer que l’inégalité des revenus au Canada n’est pas simplement affaire de moyens financiers. Nos communautés et la qualité de vie dans les quartiers sont également en jeu, car l’inégalité entre les villes est également synonyme d’inégalité des occasions offertes aux citadins. Améliorer la qualité et la répartition des ressources communes de nos villes peut conduire à la création de milieux urbains plus équitables et inclusifs.

Kate Parizeau est professeure adjointe dans le département de géographie à l'Université de Guelph.